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Ker Asia

JSA


Depuis la fin de la guerre en 1953, les deux Corée n’ont plus que la zone démilitarisée en commun et la situation de ni paix ni guerre ne semble guère évoluer à moins que par le truchement du 7e Art, il soit possible de réconcilier les frères ennemis à défaut de pouvoir le faire, dans la réalité, même avec force diplomatie déployée depuis.


En tout cas, la sortie de ‘‘JSA’’ en 2000 coïncide avec un événement sportif des plus médiatisés puisqu’aux jeux olympiques de Sydney, les deux pays ont défilé ensemble lors de la cérémonie d’ouverture. Portant un drapeau représentant la péninsule en bleu sur fond blanc, les athlètes du Nord et du Sud ont également adopté la même couleur pour leur tenue. On imagine combien les images, mondialement retransmises alors, ont dû laisser rêveurs nombre de partisans de la réunification ou de la paix tout simplement et pas qu’eux si on s’attarde sur ce film – qui n’est pas le premier – militant pour ne pas dire engagé qu’est ‘‘JSA’’.


Zone de Sécurité Commune, c’est donc le titre en clair et dans cet acronyme, on peut imaginer sans mal la teneur du propos sachant que derrière une situation figée, il y a avant tout des hommes et des femmes qui n’ont pas tous connu les affres de la guerre et maintenant, des étrangers en visite dans la péninsule pour regarder une frontière on ne peut plus étrange – alors que la guerre froide a pris fin dans le monde depuis 1991 – pour ne pas dire incompréhensible car d’un autre temps pour ainsi dire. Aussi, n’importe qui pourrait se poser cette même question sur le pourquoi du maintien d’une zone de sécurité qui ne signifie plus rien et certainement pas pour le réalisateur puisque le décor de son film est d’emblée planté de part et d’autre de cette fameuse zone. Mais pour faire et dire quoi au juste M. Park Chan-wook (le réalisateur) ?


C’est là, le cœur du sujet. Qu’ont-ils effectivement à se dire et à faire ensemble alors que tout les sépare ou devrait les séparer – toujours dans le film – à commencer par les militaires et gardes-frontière des deux camps. Tout et rien manifestement car après des décennies d’observation tendues et finalement inutiles, tous ou presque ont fini par oublier les raisons de l’affrontement qui a conduit à la partition de la péninsule alors que d’une parole ou d’un geste, des liens amicaux peuvent être noués et qui sait, ouvrir une porte, tant espérée, à l’unification des deux Corée un jour. C’est en substance, le message contenu dans cette histoire qui commence par un incident diplomatique consécutif à un échange de feu mortel entre militaires nord et sud-coréens et qu’une commission de supervision des nations neutres (dont la Suisse et la Suède font partie) se doit de régler au travers d’une enquête de terrain qui s’annonce d’emblée ardue.


En guise d’introduction, cela semble prometteur car le sujet est non seulement sensible et le parti pris de développer l’intrigue comme un thriller est quelque peu osé aussi sachant qu’il est aisé de tomber dans le piège du manichéisme dont les Sud-Coréens sont d’ordinaires coutumiers dès lors qu’il s’agit de désigner un ennemi sauf que dans ‘‘JSA’’, c’est un soldat du Sud qui a tiré le premier outre de s’être fait prendre, auparavant, par les communistes, officiellement parlant. Pour le moins obscur et pour tout dire difficile à avaler même en s’aidant d’une cargaison de soju – qui est la boisson fédératrice de tout coréen qui se respecte – on se demande bien comment ce pauvre soldat a pu se retrouver entre les mains de l’ennemi alors que les armes sont pointées, jour et nuit, de part et d’autre des postes d’observation.


Incroyable situation s’il en est et développée comme un thriller politique, dans la première demie heure tout du moins, on comprend vite le comment du pourquoi – expliqué d’ailleurs avec force flash-back certes utiles mais tout de même difficiles à avaler décidément – s’agissant d’un face à face qui aurait pu dégénérer mais que des circonstances extraordinaires ont transformé en une histoire d’amitié quelque peu surréaliste entre Nord et Sud-Coréens. Pourquoi pas ? Puisque c’est de la fiction... Il faut dire aussi qu’au cours des conflits armés, des histoires à peine croyables ont montré des soldats français et allemands rengainer leurs armes, sur le front des tranchées de 1914-1948 pour célébrer la fête de la Nativité en commun, sauf qu’il y a plus qu’une tranchée à franchir – essentiellement idéologique pour ce qui concerne nos protagonistes – dans notre cas et quant à se prendre dans les bras, même animés par les meilleures intentions du monde, il faut être sacrément saoul ou vouloir déserter ensemble…


C’est pourtant ce que Park Chan-wook essaie de faire passer mais maladroitement et presque aux forceps, si on peut dire, tant sa démarche manque de crédibilité surtout qu’au travers des dialogues – qui auraient pu donner davantage de psychologie à chacun des protagonistes comme le fait de se poser la question sur l’engagement idéologique de l’autre par exemple, la perception qu’il a du monde, le sens qu’il donne à son combat contre une menace permanente, la déchirure que chacun porte, en lui, parce qu’il y a une famille brisée par la séparation qui n’épargne personne ni aucun soldat etc. – il était possible d’aborder le contentieux entre les frères ennemis ce qui est certainement difficile à faire mais le film aurait gagné, sur le plan humain, en parlant des hommes capables de faire taire leurs armes pour se parler précisément car c’est bien là le propos du réalisateur. Au lieu de quoi, il faut se contenter de quelques tirades réductrices de part et d’autre et bien terre à terre comme si entre le Nord et le Sud, les choses se résument qu’à des différends d’ordre domestique.


C’est franchement décevant. La question de la réunification, ramenée à l’échelle de l’individu, était particulièrement intéressante à explorer car la latitude que le thème permet, laisse entrevoir une lecture large et ambitieuse de la condition humaine même si la péninsule n’en a pas l’exclusivité car cela vaut pour toutes les tragédies de l’après-guerre. Aussi, ‘‘JSA’’ aurait pu être un grand film par l’approche qu’il a des deux Corée mais l’angle de lecture qu’il propose est malheureusement trop simpliste et encore une fois, réducteur jusqu’à la caricature de la problématique coréenne si tant est que l’amitié, qu’il prône, est une valeur universelle capable de tout transcender. Or, le proclamer est une chose et lui donner corps en est une autre. Il faut la construire d’abord et l’entretenir un peu comme les relations franco-allemandes au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Ces relations n’ont été possibles que par l’acceptation mutuelle et en assumant pleinement un passé commun. En la matière, la paix retrouvée entre deux nations n’est pas une question de sentiment et ne relève jamais du hasard.


Or, l’ambition de Park Chan-wook ne ressemble qu’à un brassage de vent. Il n’a rien à dire sur l’engagement que son film est supposé défendre hormis des déclarations d’intention, certainement louables, mais qu’il impose bruyamment – et sans parvenir à convaincre à aucun moment – comme un postulat. Aussi, de l’espoir que ce film aurait pu faire naître ou des interrogations qu’il aurait pu soulever, il n’y a finalement qu’une histoire balbutiante où les protagonistes des deux bords ne sont que des éléments fonctionnels d’un thriller de série B. Ceci ne remet certes pas en cause la sincérité de la démarche mais ‘‘JSA’’ ne comporte, hélas, aucune réflexion de fond ni de surface d’ailleurs – quitte à chagriner certains qui le trouve profondément émouvant ou humain – car son message d’amitié voire de fraternité est aussi vain que de faire croire que par la force de la prière, le monde pourrait changer.


Comme il faut conclure, disons que ce film est à ranger parmi les productions ni bonnes, ni mauvaises sur la problématique coréenne et que l’aborder par le biais du cinéma est un exercice particulièrement délicat, pour preuve.


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