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Ker Asia

Back to 1942


Film chinois sorti en 2012

Produire un film sur la guerre – et non de guerre – est un exercice toujours délicat surtout que ‘‘Back to 1942’’ a été présenté, pour la première fois, au public lors du 4e Festival international du film à Rome en 2012. C’est à dire au même titre que les films en lice pour le prix Marc Aurèle d’Or. Celui-ci récompense les meilleurs réalisateurs, acteurs et films de toutes catégories certes, mais pourquoi faut-il présenter un sujet aussi dramatique et surtout sans figures marquantes face à d’autres œuvres de fiction qui ne craignent pas d’en jouer précisément ?


L’histoire est non seulement délicate à traiter – parce que l’objectivité nécessaire pour mener à bien une pareille entreprise doit être un impératif constant – et qui plus est, pour un film chinois, il risque d’être censuré par un gouvernement toujours sourcilleux sur la lecture qu’on peut donner de son passé même lointain, et surtout entre 1937 et 1945 contre le Japon Impérial. C’est dire que le piège du parti pris est toujours présent au détour du chemin, quand certains producteurs ne tombent pas dans la propagande sans toujours le voir d’ailleurs.


Sur ce point, on ne compte plus les réalisations – surtout d’outre-Atlantique - qui ont inondé le marché du cinéma depuis les années 50 et la question qui se pose est donc simple. Pourquoi faire un énième film sur la guerre ? S’il s’agit de parler d’une tragédie oubliée ou illustrer une page tragique de l’histoire de l’humanité, ce n’est pas ce qui manque hélas. Quant à distraire – car c’est quand même l’objectif du 7e Art par nature – il y a peu de chances que le spectateur sorte des salles obscures détendu avec tout ce qui est montré. Ce n’est pas un film de guerre, encore une fois, mais sur la guerre. C’est à dire que l’image ne doit pas privilégier un comportement, ni un aspect particulier et ne peut considérer les choses que dans sa globalité par conséquent.


C’est ce que le réalisateur Feng Xiaogang fait avec beaucoup de soins d’ailleurs et sans doute, pense-t-il qu’il est utile de parler de son pays à une époque où le monde était bien trop préoccupé – par la situation en Europe notamment – pour vouloir s’intéresser de plus près à ce qui était en train de se produire s’agissant de la famine qui sévissait dans la province du Henan. Pour dramatique comme contexte, il semble difficile de trouver pire en cette année 1942 effectivement, et il semblerait que même en Chine, les esprits n’aient pas été traumatisés par ce drame et ses conséquences alors que c’est précisément là qu’il faut voir la raison de ce film. Il ne parle pas que de la guerre mais de la noirceur du genre humain aussi et paradoxalement, du bien dont il peut en être capable.


Aussi, le cœur du sujet n’est pas dans les conflits armés – entre troupes chinoises et japonaises – mais dans ce que hommes, femmes, enfants et vieillards doivent endurer pour survivre sans parler du spectateur qui n’est pas épargné par les images d’une insoutenable cruauté tant elles sont saisissantes de réalisme. Les bombes larguées par les avions nippons sur des colonnes de malheureux réfugiés en haillons, la faim qui les tenaille et se transforme rapidement en famine, les corps déchiquetés ou abandonnés sur la route de l’exil et dévorés par des chiens errants, le désespoir qui pousse certains au cannibalisme, le troc d’êtres humains contre quelques mesures d’orge, un père qui a perdu, un à un, tous les membres de sa famille et dans l’insondable ténèbre du malheur, le regard impuissant de la conscience à travers l’objectif photographique d’un journaliste ou sa plume pour raconter tout cela… C’est franchement insupportable et c’est trop peu pour parler de ce que nous sommes capables de nous infliger depuis. C’est sans doute pour cela que les limites de l’horreur sont loin d’être atteintes et qu’il faut en parler et donner une illustration sur grand écran ?


Ceci étant, revivre cette année 1942 sous l’angle cinématographique ne peut être que pénible et certainement riche d’enseignements aussi, à condition de ne pas trop en attendre et de se documenter préalablement, car il n’y a rien de distrayant dans ce film. La démarche adoptée relève davantage du documentaire que d’un travail artistique – dans le sens créatif du terme – si on s’en tient à la sobriété ‘‘du jeu d’acteur’’ même si l’expression est quelque peu déplacée, sans oublier l’histoire qui pourrait donner l’impression d’être linéaire dans la lecture qui lui est donnée. Mais il s’agit d’une histoire collective et tragique avant tout. Il n’y a pas de héros, pour ainsi dire, pas de bourreaux et des victimes par millions.


Cependant et en dépit d’une lueur d’optimisme qu’on peut déceler dans la séquence finale – quand un vieil homme et une petite fille, épargnés du désastre, décident de s’adopter mutuellement et de continuer le chemin ensemble – faut-il comprendre qu’au delà de l’horreur, il y a toujours de l’espoir dans le genre humain comme semble vouloir dire Feng Xiaogang dans cette façon de conclure ? Il faut sans doute mettre un terme aux 146 mn que dure le long métrage tant il ressemble à un véritable chemin de croix mais après ? L’humanité peut faire preuve d’amnésie passagère quand elle ne recèle pas d’étranges oubliettes dans son histoire, et on ne peut espérer qu’une chose, que ce film n’en fera pas partie.


En attendant, une chose est certaine. Il est délicat d’apprécier ‘‘Back to 1942’’ en tant qu’œuvre cinématographique à part entière tant il possède, de fait, une puissante valeur documentaire et pédagogique indéniable. C’est à dire à l’égal ou presque d’un cours d’histoire. Quant à le diffuser auprès d’un public non chinois, il n’est pas certain qu’il parvienne à susciter beaucoup d’intérêts, sauf pour admettre qu’on est capable de tout et surtout du pire ?


Que ce soit dans le Henan, en ces temps-là ou ailleurs à d’autres époques, la lecture du passé est souvent douloureuse et il y a des chances pour qu’on ne soit pas au bout de nos surprises.

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