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  • Ker Asia

City of Life and Death


Film chinois sorti le 22 avril 2009, disponible en France en DVD

Pourrons-nous, un jour, nous accepter ? Parviendrons-nous, un jour, à nous satisfaire de notre condition humaine ? Il n’est pas aisé d’y répondre si on retient la séquence finale de ‘‘City of Life and Death’’. Pour certains, ils semblerait que cela ne soit plus possible et pour d’autres, peut-être…

Il faut croire que dans notre destinée, la vie et la mort y sont inscrites comme par une encre indélébile mais pas de n’importe quelle façon surtout quand elles prennent des tournures tragiques dans la longue marche de l’humanité. Mais que pouvons y faire si ce n’est d’avancer et de se retourner, de temps en temps, sur le passé pour tenter de comprendre d’où nous venons et ce que nous voulons. Le récit de ceux qui ont enduré des épreuves qu’on peine à imaginer, tant elles dépassent l’entendement, nous y invitent parfois quand au détour d’une actualité, certaines images peuvent heurter notre regard et même déchirer notre conscience pour peu qu’on ait le courage de regarder avec notre cœur.

C’est ce que le film de Chuan Lu se propose de faire en racontant, de l’intérieur, la vie et la mort de ceux et celles qui ont le malheur de se trouver dans une ville que l’Histoire, au tournant du XXe siècle, a retenue comme une grande tragédie bientôt suivie par une autre encore plus grande dans l’échelle des maux que les hommes sont capables de s’infliger et qui semblent faire partie de nos gènes, telle une fatalité, de notre condition humaine. Condition que le réalisateur ne compte nullement noircir d’ailleurs ou réduire à une somme de tragédies mais il faut reconnaître qu’il y a de quoi s’effrayer de la nature humaine au sortir d’un film que nul ne pourra regarder comme un spectacle distrayant en parlant de cinéma précisément.

Aussi, que faut-il penser de la démarche de Chuan Lu si ce n’est qu’elle est très proche pour ne pas dire assimilable à un documentaire tant sur le plan technique – photographie en noir et blanc, caméra portée à l’épaule dans de nombreuses séquences – que pour son contenu informatif à ceci prés. La destruction a une odeur, le sang versé a une odeur, les corps putréfiés répandent des odeurs qui imprègnent tout et même la souffrance a une odeur. En un mot, la mort qui s’ensuit a tout simplement un relent, dans la réalité, et aucune représentation ne peut la restituer. De même que la mémoire n’est pas que visuelle elle est olfactive également, sensorielle pour ainsi dire, jusqu’à pénétrer profondément dans l’âme pour la souiller à tout jamais.

C’est pourquoi aucun travail de mémoire – fut-il louable – ne sera jamais aussi puissant que le témoignage de ceux et celles qui ont réellement vécu, dans leurs chairs, des tragédies même si pour forger la conscience des générations futures, il faut continuer d’écrire et montrer pour ne pas avoir à revivre certaines pages du passé. C’est le sens même de l’Histoire telle qu’elle est enseignée et le 7e Art peut également y participer pour donner le relief, qui lui est propre, du moment que le souci d’impartialité l’emporte sur toute considération artistique ou commerciale ce qui n’est pas impossible mais cela suppose une même rigueur de lecture qu’un travail d’historien. C’est à dire sans complaisance avec les faits quant à montrer des images pour un réalisateur et qui plus est, de nationalité chinoise pour évoquer ce qui est communément appelé le ‘‘viol de Nankin’’.

Or, la crainte de tomber dans le manichéisme et que d’aucuns pouvaient redouter, à juste titre, n’a entaché le film à aucun moment bien au contraire. Même s’il y avait agression et des agressés, la volonté de ne pas prendre parti est tout simplement remarquable pour une production, chinoise, destinée à un public, chinois, sans parler des autorités sourcilleuses avec l’histoire du pays et sur un sujet hautement sensible de surcroît s’agissant du Japon toujours considéré comme un ennemi héréditaire dans l’inconscient collectif. Pour toutes ces raisons, on ne peut que saluer le film de Chuan Lu comme un acte courageux, avant tout, sachant que le pari est loin d’être gagné sur le plan cinématographique mais surtout intellectuel chaque fois qu’il s’agit d’évoquer le conflit sino-japonais, pour peu que la lecture des événements s’écarte de la volonté des censeurs, sans parler du risque d’être mis à l’index pour manque de patriotisme voire de trahison avec la vérité...

Quant à ‘‘City of Life and Death’’, il n’est certes pas le premier à s’attaquer au sujet si on peut dire sauf qu’il se démarque nettement des autres productions chinoises par la pédagogie qui s’en dégage outre d’être étrangement humain dans un contexte quasi paroxysmique où plus aucune règle n’existe et que la vie est réduite à l’état d’objet ou vouée inéluctablement à l’anéantissement. C’est dire que les images ne peuvent être qu’insoutenables de cruauté pour ne pas dire traumatisantes et extrêmement dérangeantes d’humanité aussi surtout dans le regard de certains protagonistes – le lieutenant Kadokawa, Mlle Tang et John Rabe notamment – tant du côté japonais que de ceux qui font tout pour sauver des vies humaines ou atténuer, un tant soit peu, la souffrance des plus faibles. En cela, on peut dire d’emblée que ce film n’est pas un film de guerre parmi d’autres tant il les surpasse de bien des façons.

Au travers des histoires personnelles qui se juxtaposent et que d’aucuns pourraient trouver quelque peu brouillonnes, il faut comprendre que plus aucun repère n’existe, ni aucune règle. Ils changent au gré de l’occupant et la vision qui est offerte aux spectateurs n’est qu’un immense chaos dominé par l’instinct de survie pour les uns et animal pour les autres. Mais dans son expression la plus effrayante, la violence ne l’emporte jamais complètement sur l’espoir. Dans ce rapport de force extrême, entre la vie et la mort, le réalisateur a su montrer que dans l’être humain, il est possible d’espérer et il faut y croire de toutes ses forces semble-t-il nous dire. Ce qui nous sépare est dans le feu de la haine mais ce qui nous sauve est dans la lumière de notre conscience. C’est en substance le message qui apparaît, en filigrane, dans la séquence finale à la manière d’une porte entrouverte sur la délivrance parce qu’il y aura toujours des hommes et des femmes pour nous tendre la main et nous aider à affronter les ténèbres quand bien même l’humanité peut encore trébucher, en chemin, ou se laisser envahir par la peur.

Si cela peut paraître osé, pour certains, il est souhaitable que ce film sur l’occupation japonaise de Nankin – de décembre 1937 à février 1938 – puisse être regardé par le plus grand nombre non seulement pour sa haute valeur pédagogique mais pour la tragique humanité qui s’en dégage aussi car très rares sont les réalisations qui y parviennent. Encore une fois, le travail de Chuan Lu est tout simplement remarquable pour toutes les raisons évoquées plus haut et gageons que nul ne sortira indemne après visionnage de ‘‘City of Life and Death’’.


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