Ceux qui l’ont vu pourraient dire, ‘‘Moi aussi, j’ai vu le diable’’ à moins que ce film nous renvoie à une mise en garde parce que la vengeance, pourrait aussi nous transformer en diable si par malheur, on perd le contrôle de la situation.
Dans cette troublante ambivalence – parce qu’il s’agit d’une histoire de règlement de compte avant tout – ‘‘I saw the Devil’’ n’est pas le premier film à traiter du thème de la vengeance avec tout ce que cela suppose en terme de poursuites. Aussi, rendre les coups peut être légitime mais exercer personnellement sa propre justice est toute autre chose. Cela suppose un comportement objectif et des moyens encadrés. Ce qui signifie que seule une personne assermentée peut l’exercer et à fortiori représenter la loi quant à châtier un contrevenant pour les délits les plus graves en tout cas. Entre ces deux notions, il y a par conséquent une grande différence dans les intentions comme dans les actes.
Or, de la vengeance ou de la justice et même du diable, on finit par ne plus savoir ce qui est privilégié dans la démarche de Kim Jee Woon – le réalisateur – à moins que le scénario relève d’un exercice de style qui consiste à repousser aussi loin que possible les limites du supportable, visuellement parlant, et en partant de multiples crimes qui ne peuvent rester impunis. Ainsi posé et comme il faut bien répondre de ses actes un jour, ce jour-là est donc arrivé pour Jeong Gyeong Chul (Choi Min Sik dans le rôle d’un tueur psychopathe) outre le fait que ce dernier s’est fait, auparavant, une spécialité en ne s’attaquant qu’à des jeunes femmes sur lesquelles il exerce les pires sévices et avec un sadisme pour ne pas dire sauvagerie assumée. Avec pareille psychologie et plus bestial que lui, cela ne doit certainement pas exister sauf que dans les actes, il ne tardera pas à trouver son alter ego si on peut dire.
C’est Kim Soo Hyeon (Lee Byung Hun), qui se fera un devoir de venger toutes les victimes et pour cela, il a toutes les raisons car parmi elles, il n'y a rien de moins que sa sœur… Aussi prévisible qu’inévitable, le duel qui s’ensuivra entre les deux hommes servira de motif pour développer le scénario. Celui-ci consiste à faire évoluer les protagonistes jusqu’à un face à face si bien que ce n’est plus à une chasse à l’homme qu’on a à faire, tout au long du film, mais à une traque impitoyable pour châtier un criminel et de quelle façon ! L’assassin est d’une telle monstruosité qu’il ne peut être puni qu’avec les mêmes méthodes. C’est ce que Kim Jee Woon s’attachera à illustrer d’ailleurs et ce, jusqu’au paroxysme tant il semble prendre du plaisir à montrer des scènes d’une rare perversité et avec cette insistance presque sadique pour maintenir le spectateur immergé jusqu’au cou dans le dégoût. Il y va d’ailleurs allègrement et si fort qu’il oublie qu’un minimum d’intrigue aurait pu donner ne serait-ce qu’une once de consistance à ces personnages au lieu d’en faire des individus désincarnés qui se contentent de se surpasser dans l’innommable.
Faut-il donc aller aussi loin pour traiter d’une affaire criminelle même des plus sordides ? Non pour le côté gratuit de la démonstration – tous les coups sont permis, du couteau à la serpe et on ne compte plus tout ce qui tranche ou peut tuer – et oui en même temps, s’il s’agit d’explorer la frontière ténue qu’il peut y avoir entre vengeance et justice, entre un criminel et son justicier finalement guère différent de lui par sa cruauté et ses méthodes. Pour radical comme vision du droit à réparation face au crime, c’est recevable mais c’est un peu réducteur aussi alors que le film aurait pu approfondir la psychologie des deux hommes parce qu’ils sont des êtres humains avant tout. Au lieu de quoi, il faut subir un enchaînement de violence d’une férocité inouïe et qui va crescendo jusqu’à la séquence finale. Ouf… il est temps que cela s’arrête quand on a pas rendu ses tripes à force d’être submergé dans l’horreur absolue. Ce n’est plus gore, c’est carrément malsain.
Pourtant, on ne peut pas dire que ce film soit dénué d’intérêt – même si l’histoire se tient sur la moitié d’une page – car sa force ou plutôt son attractivité, réside en fait, dans l’image mais pas que. Il y a une couleur qui se joue de l’ombre et de la lumière, il y a une atmosphère des plus glauque et des plus glaçante aussi. Il y a même dans certains plans certes macabres, quelque chose d’hypnotisant comme toute chose trop affreuse ou trop belle et qui peut capter notre regard parce qu’elle le tétanise justement et parce que ces plans sont aussi teintés d’une étrange poésie toute proportion gardée naturellement. Du reste – et on partage volontiers la critique de la presse sud-coréenne – ‘‘I saw the Evil’’ est un film des plus extrême. Il est choquant voire traumatisant sous bien les angles et pour tout dire, franchement dégradant pour la dignité humaine s’il fallait le qualifier.
En un mot, on ne peut le regarder qu’avec les précautions d’usage sachant que tout est déjà contenu dans le titre.
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