Le cinéma lui doit bien cet hommage et il n’est jamais trop tard pour le faire quand bien même faut-il apporter quelques rectificatifs aux critiques de la presse et commentaires de cinéphiles qu’on peut lire ça et là sur le Net... Le ‘‘Schindler de la Chine’’… comme on l’a qualifié tardivement n’a que deux points communs avec Oskar Schindler. C’est d’être un industriel allemand et membre du parti nazi car du reste, le contexte de guerre de l’un comme de l’autre diffère complètement. La prise de Nankin en décembre 1937 est bien antérieure au conflit entre le Japon et les États-Unis d’Amérique. C’est seulement après l’attaque de Pearl Harbor du 7 décembre 1941 que la guerre du Pacifique est déclarée. Elle se terminera par la défaite du Japon le 7 septembre 1945 soit cinq jours après la fin de la Seconde guerre mondiale en Europe. Auparavant, il s’agissait pour l’empire du Japon de trouver un point d’ancrage continental afin de contrer le Kuomintang – dans son projet d’unifier la Chine sous sa bannière – perçu, alors, comme une menace directe contre sa présence en Mandchourie. A la faveur d’un attentat ferroviaire orchestré par des agents japonais et connu sous le nom ‘‘d’incident du Mukden’’ (ville proche de la société japonaise des chemins de fer Minami Manshū Tetsudō Kabushiki-gaisha), le prétexte pour passer aux actes et envahir la province ne tardera pas à entrer en vigueur. Le 19 septembre 1931, l’armée impériale japonaise se lança dans la conquête de la Mandchourie et c’est ce que l’Histoire retiendra comme la première guerre sino-japonaise. La deuxième, sera déclarée au cours d’un autre incident dit du ‘‘Pont de Marco Polo’’ – situé à 16 kms à l’Ouest de Beijing – le 7 juillet 1937, opposant l’armée nationale révolutionnaire de la République de Chine à l’armée impériale japonaise. Les combats se solderont par la victoire de cette dernière ce qui aura pour conséquence, la prise de Beijing le 7 août puis Shanghai le 13 août 1937. Il ne reste plus alors qu’à s’emparer de Nankin – siège provisoire du Kuomintang dirigé par Tchang Kai-chek et contexte du film dédié à John Rabe, si on peut dire – pour envahir ainsi toute la Chine. Naturellement, il faut s’attendre à ce que notre ‘‘héros’’, bien malgré lui, soit mis en avant mais c’est dans un souci de justesse que le réalisateur s’est attaché à le montrer. C’est à dire moins héroïque – que le portrait retenu par l’Histoire – et davantage humain dans ses interrogations, ses doutes et même ses dilemmes. En cela, nous avons droit à un remarquable jeu d’acteur d’Ulrich Tukut – sans oublier les seconds rôles tout aussi impressionnants de justesse – retenu pour ce rôle particulièrement difficile quant à montrer un visage dans lequel bien peu de gens voudraient épouser les traits dans une telle situation. John Rabe est rien de moins que le dirigeant local du parti Nazi en Chine et allié du Japon à fortiori... Aussi, ce film qualifié de guerre qui pourrait faire croire à de grandes scènes de batailles comme on a presque l’habitude de voir est, ici, réduit à quelques plans. Ce n’est pas un film sur la guerre proprement dit mais sur un homme, à un moment donné, où toute la population d’une ville se trouve livrée à l’ennemi et dont la survie ne dépend que d’une poignée de personnes dont l’une d’elles est un nazi. Singulier destin s’il en est pour cet allemand loyal à son pays et à son Führer, à qui il se remet entièrement, le film ne tombe jamais dans la facilité et au travers de John Rabe, on ose presque croire que l’homme est capable du meilleur en dépit de son appartenance ou de ses convictions. Il faut dire aussi qu’il connaît bien ses semblables et dans ses rapports, quelque peu paternalistes avec ses employés, on perçoit rapidement sa bienveillance certes rugueuse mais cela ne tient qu’aux Chinois qu’il s’efforce d’éduquer, chaque jour, dans ses usines Siemens installées dans le pays depuis 1911. C’est pour cette raison qu’il apparaît aussi proche des gens et pour tout dire, assez ordinaire jusqu’à les prendre, d’instinct, sous sa protection personnelle – symbolisée par le drapeau du IIIe Reich dans le film et dans la réalité selon le témoignage des survivants – dans un premier temps avant qu’une zone de refuge ne soit créée par des hommes et des femmes dont le courage n’a d’égal que leur dévouement à défendre des gens voués au massacre et ce jusqu’au bout de leurs ressources matérielles et même de leurs forces avant que l’arrivée de diplomates étrangers ne sauve la situation in extremis. Dans le respect de la chronologie des faits et quitte à décevoir les amateurs d’héroïsme ou d’action, le film se démarque nettement de la production classique en montrant avant tout la dimension humaine de cette tragédie car aussi paradoxale que cela puisse paraître, des consciences peuvent s’élever contre la barbarie et cette conscience ne se définit pas d’avance. Dans l’ignominie comme dans la bravoure – propres à toutes les guerres – ce sont par des actes que nous montrons nos différences et aucune idéologie ne peut servir d’excuse ou de prétexte. L’histoire de John Rabe est tout simplement extraordinaire, dans tous les sens du terme, dans cette prise de conscience qui fait de l’homme ce qu’il veut être en définitive. C’est pourquoi, on ne peut que saluer le film de Florian Gallenberger non seulement pour les raisons évoquées, ci-dessus, mais pour la formidable humanité qui s’en dégage surtout. Rares sont les films dit de guerre qui ne soient pas qu’un spectacle gratuit et malsain. Il en existe d’autres, fort heureusement, où le spectateur peut en sortir meurtris certes mais se sentir rempli d’espoir aussi ou pour avoir simplement appris quelque chose sur lui-même. C’est le sens de ce film et cela ne vaut pas que pour les films de guerre. Quant aux grincheux qui trouvent cette réalisation ‘‘moyenne au niveau de la photographie’’, il faut savoir regarder au-delà des images même au cinéma... Notons d’ailleurs, que le réalisateur a su utiliser des documents d’archives avec intelligence, non pas par manque de moyens justement, mais bien pour conférer à sa démarche une valeur pédagogique.
Ker Asia
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