Le Japon impérial n’est plus ce qu’il est en ces derniers jours de combats. Son rayonnement n’est plus qu’une lueur qui s’étiole avant de disparaître dans les ténèbres de l’Histoire. Ce qui fut autrefois le symbole triomphant d’un empire n’est donc plus. L’astre semble décliner inéluctablement désormais et rien ne semble pouvoir arrêter sa course. Les couleurs du soleil levant dont il s’est paré, a fait place à un crépuscule rougeoyant. La dernière bataille est en train de se jouer.
Comment une si glorieuse armée peut-elle connaître un tel sort, alors que les victoires sur l’ennemi lui semblaient acquises d’avance ? L’Empire ne peut envisager la défaite. Il y a assurément d’autres combats à mener mais au prix de quels nouveaux sacrifices ? C’est sur les épaules de ces derniers héros que va reposer le destin du pays maintenant, sauf qu’au-delà des affrontements, c’est tout un monde qui est ébranlé sur ses assises et fissuré de toute part. Les forces du pays s’épuisent même si l’ardente flamme patriotique empêche encore de voir la réalité, mais peut-être pas pour tous à moins que...
A moins que dans ce dernier assaut, les pilotes japonais ne parviennent à sauver quelque chose pour leur pays car il ne s’agit plus de victoires, cette fois-ci, ni même de reprendre le contrôle sur le cours de la guerre et encore moins de la gagner. Il s’agit de sauver des valeurs car elles ont le pouvoir de transcender les hommes jusqu’à leur faire croire que leurs actes ne font que répondre à une volonté divine. Celle-là même qui leur a donné tant de victoires jusqu’à présent et qui ne semblent plus d’aucune utilité face à ce qui est désormais redouté. Il n’y a pas d’issue honorable dans la défaite. Il faut se battre jusqu’au bout et ce combat du désespoir est confié à des pilotes dont certains vont s’envoler pour la première fois sans doute, car parmi eux, il y a de jeunes hommes inexpérimentés, des vétérans et des pères de famille aussi. Mais quel qu’en soit l’issue, ce sont tous des kamikazes et tous se doivent d’obéir.
Le thème de l’obéissance et par extension du devoir n’est certes pas nouveau dans les films traitant de la guerre mais ce qu’il y a de particulier, en parlant du combattant japonais, semble dépasser largement le cadre de la simple discipline militaire car le dévouement dont il fait preuve est une des caractéristiques qui le distingue des autres et que l’on retrouve forcément dans la posture du kamikaze. Outre d’obéir aux ordres, ces derniers ont pour mission de donner leur vie au pays - dans des opérations sans retour possible - puisqu’il s’agit ni plus ni moins de sacrifice avec tout ce que cela comporte de retombées glorieuses pour les familles (?). C’est un point de vue largement accepté au Japon, en ces temps-là certainement, mais qu’en est-il dans la réalité lorsque des veuves doivent réclamer à leur gouvernement une pension légitime, quelques années plus tard, parce que le mari a justement donné sa vie pour le pays ? Ou qu’il a disparu sans laisser la moindre trace ? la cruauté d’une telle situation n’est sans doute pas propre au pays ni pire dans d’autres et il n’est pas certain non plus, que tous les soldats japonais aient eu le choix entre vivre ou mourir pour leur patrie et à fortiori pour l’Empereur...
Quoi qu’il en soit, l’obéissance du soldat ou le devoir qu’il se fait envers son pays est un thème universel depuis que les conflits armées existent. Aussi, ce film n’échappe pas à la question qui se pose dans cette histoire à savoir, jusqu’où peut-on demander aux hommes d’aller sans qu’il n’y ait de remise en question même si, d’apparence tout du moins, il n’y pas de doute que tous ou presque sont prêts pour le sacrifice quand il n’est pas perçu comme un ultime acte de bravoure pour le plus brave des braves ? C’est cette question qui est au cœur de toute l’histoire de ‘‘Kamikaze’’ alors que souffle un dernier vent de folie dans ce film. Il est sur le point d’anéantir ce qui reste d’humain même chez le plus courageux des pilotes et c’est parmi un de ces kamikazes – Myabe Kyuzo que tous considèrent comme un lâche – précisément que l’on va se rendre compte à quel point ce film est beau et émouvant sous bien des aspects. Ce n’est pas un film de guerre à proprement parler, parce que le propos est tout simplement ailleurs.
Les scènes de batailles sont certes présentes car il faut bien tendre une toile de fond pour restituer le contexte mais c’est dans le personnage principal que tout se joue en réalité, et aussi surprenant que cela puisse paraître au premier abord, on peut effectivement douter de sa combativité dans les airs. Il est souvent incompris de ses camarades d’ailleurs outre ses propos qui devraient le conduire devant la cours martiale sauf qu’en ces temps de débâcle, tout le monde a sa place à la guerre y compris pour celui qui ne croit plus au sens du sacrifice et qui pourrait craindre la mort. Pour autant, est-il possible de s’y soustraire et pourquoi pas, sauver les autres d’eux-mêmes, quitte à passer pour un lâche ? C’est ce qu’il s’efforcera de faire tout au long du film et des actes de bravoure, ce n’est pas toujours dans le sacrifice de la vie que se trouve le plus admirable des comportements. C’est aussi dans la volonté de préserver celle d’autrui avec tout ce qu’elle a de sens pour les familles, pour les épouses dans l'attente d’un mari ou pour des enfants dans le besoin. Rien n’est donc plus absurde qu’un sacrifice inutile car à l’égal de toute chose dérisoire, il est voué à l’oubli et ce faisant, Kamikaze donne à ce film tout son sens.
Il n’est pas antimilitariste ni utopique dans sa vision de l’être humain. Il nous ramène juste à notre vraie place qui consiste à se demander si finalement, la vie n’est pas ce que nous avons de plus précieux. Le thème des conflits armés est d’ailleurs et souvent un excellent moyen pour traiter de certaines questions sensibles liées à ce que l’on est ou pourrait être, s’il fallait faire un choix dans une situation critique. Dans ‘‘Kamikaze,’’ ce choix a le visage de l’humanisme par-delà toute considération et en cela, ce film est tout simplement remarquable dans l’approche qu’il donne de la guerre. D’autres sujets sont également abordés à commencer par l’image du kamikaze, dans la perception qu’on en fait généralement parce que c’est synonyme de fanatisme - comme pour la majorité des combattants japonais de la Seconde guerre Mondiale d’ailleurs - sauf que ce kamikaze peut avoir aussi les traits d’un Myabe Kyuzo avec tout ce qu’il y a de plus humain dans ses questionnements, ses doutes ou ses peurs face à la mort.
Notons enfin que le style d’écriture adopté pour raconter cette histoire, emprunte celle d’un travail de mémoire et dans le souvenir des survivants – dans la fiction pour notre cas et dans la réalité à fortiori -– il peut y avoir de belles pages d’histoire qui ne soit pas que glorieuses mais grandes aussi pour leurs dimensions humaines.
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