‘‘En période de paix n’oublie pas le péril’’. Voilà ce que nous dit un proverbe chinois… et surtout gardons bien à l’esprit que nous sommes face à deux puissances nucléaires – s’agissant de la Corée du Nord et des États Unis d’Amérique – dans une démarche de rapprochement qui ne saurait faire oublier les relations de l’URSS avec l’Occident à l’époque où Mikhaïl Gorbatchev tentait de sauver ce qui restait du régime communiste et sortir le pays de l’ornière économique.
C’était en 1985 c’est-à-dire quelques années précédant la chute de l’Union Soviétique et la fin officiellement déclarée de la Guerre Froide, en 1989, par l’intéressé et le président américain George H. W. Bush en parlant de la situation dans le monde. Mais c’était oublier, un peu vite, que le dégel des relations entre les deux Corée est loin de s’amorcer à ce moment-là. Contrairement au Mur de Berlin, la péninsule est toujours coupée au-dessus du 38e parallèle par une zone démilitarisée et ce, depuis 1953 d’autant que cette situation de ni guerre ni paix ne peut être réglée par un nouveau traité. Il n’existe aucun texte de cette nature mais, en lieu et place, un pacte de non-agression entre l’Organisation des Nations Unies et la Corée du Nord soutenue, à l’époque, par l’URSS et la Chine. Autant dire que la fin du conflit n’a pas été entérinée au regard du droit international.
Que signifie alors toutes ces manifestations de bonnes volontés de part et d’autre, en ce début d’année 2018, à commencer par le Nord et le Sud jusqu’à faire entrer dans cette zone démilitarisée les deux présidents Kim Jong-un et Moon Jae-in pour une accolade largement relayée par les médias sans parler des retrouvailles, certes émouvantes, entre les familles coréennes séparées depuis 65 ans par une guerre qui a fait plus de 3 millions de victimes. Le régime de Pyongyang cherche-t-il à briser son isolement diplomatique et serait-il aux abois pour vouloir accepter la main tendue, depuis quelque temps, par son voisin et entreprendre ainsi une démarche d’ouverture comme jadis l’Union Soviétique avant que sa chute n’entraîne la fin du communisme en Occident tout du moins ?
Certains médias y voient ou voudraient voir le signe d’une réelle détente – qui ne serait que le fruit des intentions désormais sincères entre l’Amérique et la Corée du Nord – malgré les menaces de destruction proférées réciproquement sans parler de tout ce qui a précédé en terme peu diplomatique d’ailleurs et que les médias occidentaux notamment n’ont pas manqué d’en faire écho avec une certaine délectation. Or, si un statu quo a bien eu lieu entre l’ONU et la Corée du Nord, en 1953, il n’en est rien en ce qui concerne les États-Unis surtout depuis l’arrivée au pouvoir du camp républicain sous la direction de Donald Trump.
Aussi, faut-il rappeler que les guerres menées par l’Amérique ces vingt-cinq dernières années – guerre du Golf en 1990-1991, d’Afghanistan en 2001-2014 et d’Irak en 2003-2011 notamment – ont été conduites par les Républicains, même dans un cadre onusien, tandis que les Nord-Coréens n’ont cessé de poursuivre leur programme d’essais nucléaires – depuis 1980 – jusqu’à constituer une réelle menace de déstabilisation pour une région toujours considérée comme hautement stratégique pour les Américains alors que la Chine est passée en tête des pays les plus puissants du monde entre temps… Compte tenu de ce qui s’est passé précédemment, sur les différents théâtres d’opérations, pourquoi aucune mesure onusienne n’a donc été prise, sur le plan militaire, contre la Corée du Nord alors que ses missiles ont frappé le voisin du Sud et allié de l’Amérique en 2010 ?
La rencontre, en ce début d’année, entre l’Américain et le Nord-Coréen – bien improbable il y a peu pour ne pas dire inenvisageable – apparaît donc comme surréaliste tant tout sépare les deux puissances à commencer par le régime stalinien de Kim Jong-un face à un interlocuteur d’ordinaire intraitable, que sont les Républicains, lorsqu’il s’agit de sécurité nationale et de surcroît menacée sans détour par le Coréen surtout depuis l’arrivée de Donald Trump. Aussi, faut-il jouer de la menace de part et d’autre pour qu’un terrain de discussion finisse par se dessiner enfin ? Ce que l’on sait de l’arsenal coréen, c’est qu’il viendra bien un moment où il faudra s’attendre à voir des missiles se rapprocher toujours plus prés des côtes américaines et quelle sera la réplique de la Maison Blanche quand bien même le scénario actuel ne saurait emprunter le chemin de la Guerre Froide compte tenu de l’effondrement des idéologies dans le monde, devenu unipolaire, si on fait exception de la Chine.
Or, cette dernière semble poursuivre son chemin, tout en restant communiste mais en se gardant bien d’exporter son modèle de société et ce n’est pas parce qu'elle n'entre pas encore dans un rapport de force direct avec la Corée du Nord qu’elle laissera faire les choses. Si son appui au régime de Pyongyang ne date pas d’aujourd’hui, il va sans dire que le bras de fer entre Donald Trump et Kim Jong-un ne peut que l’intéresser d’autant que les points de discorde entre Pékin et Washington ne manquent pas de s’accumuler, ces dernières années, sur le dossier des échanges commerciaux notamment. Ils risquent même de ne pas s’arranger du tout depuis que l’Amérique pratique un protectionnisme économique, lourd de conséquences, non seulement pour son partenaire chinois mais le reste du monde également.
Dans tous les cas, la Chine semble laisser les choses venir et laisser la Corée du Nord avancer sur un échiquier à données multiples à commencer par le volet militaire avec les missiles intercontinentaux sur lesquelles Pyongyang en a fait son arme de dissuasion afin de se protéger des menaces américaines notamment et comme atout politique pour obliger l’Amérique à entrer en négociation. C’est à-dire d’égal à égal, ni plus ni moins, selon la ligne politique prônée par l’actuel président et même à l’époque du père, Kim Il-sung. Le but est clair, il s’agit de parvenir à une levée des sections économiques qui tient le pays dans un état de sous-développement chronique depuis 2005 et que l’embargo de Donald Trump a aggravé, en ce début d’année, à la suite des sanctions déjà prononcées par le conseil de sécurité de l’ONU - dont fait partie la Chine - un an plus tôt.
De cette rencontre américano-coréenne, que peut-on attendre compte tenu de ces considérations ? Il est évident qu’après les passes d’arme verbales, il faudra s’affronter sur le terrain à moins d’inventer des relations moins belliqueuses que les chancelleries réciproques ont tout intérêt à entretenir pour plusieurs raisons à commencer par la question nucléaire. Elle n’a cessé de constituer une source d’inquiétudes grandissantes pour les puissances périphériques de la péninsule et plus particulièrement pour le Japon et la Chine outre d’irriter les ‘‘faucons’’ de l’administration Trump à chaque lancement de missiles nord-coréens notamment en 2013 ce qui a provoqué une crise des plus aiguës entre Washington et Pyongyang.
Or, Kim Jong-un réclame des garanties de non agression de la part des États-Unis, fort de son arsenal, pour peser dans les négociations mais cela ne pourra se faire sans condition et sans tenir compte des Sud-Coréens dans le processus que d’aucuns voudraient voir déboucher sur un traité de paix global ? C’est à dire incluant la Corée du Sud ? La question est épineuse car s’il faut le rappeler, le contexte de 1953 se résume à une armistice entre la République Populaire Démocratique de Corée, la Chine et l’ONU, non avec la République de Corée et encore moins les États-Unis.
En ce qui concerne les deux Corée, les présidents Kim Jong-un et Moon Jae-in se sont d’ores et déjà promis de rechercher un solution de paix pour mettre fin à une situation des plus précaire tout en se fixant pour objectif, à terme, la signature d’un traité et peut-être le désengagement militaire de l’Amérique pour ce qui concerne la Corée du Sud par conséquent ? Mais quand est-il de la dénucléarisation de la péninsule ? La réponse appartient à Pyongyang et si d’aventure cela devait se produire, quelle serait sa place par rapport à Washington et comment Pékin va-t-il considérer cette nouvelle donne sur le plan de la géopolitique ?
Une chose est certaine, le sommet entre Trump et Kim Jong-un n’est qu’une première étape dans un dialogue manifestement plus contrôlé pour ne pas dire apaisé mais en aucune façon, cela signifie qu’il y a confiance réciproque. S’il faut le rappeler, le niveau de militarisation de part et d’autre, dans la péninsule, demeure dangereusement élevé et suffisamment explosif pour entraver toute velléité de coopérations économiques inter-coréennes sans parler d’échanges commerciaux avec l’Amérique et le reste du monde.
Plus prosaïquement, il ne s’agit donc pas que de sécurité nationale dans cette rencontre. Pour le régime de Pyongyang, c’est une question de survie qui se joue, pour le pays, avant tout et au sens strict du terme. Ce qui n’est pas sans rappeler une époque où un certain Gorbatchev se démenait pour sauver l’URSS de l’effondrement à ceci près, Kim Jong-un est loin d’être un réformateur et il ne peut plus compter sur le soutien de son allié historique qu’est Chine comme par le passé. Sa Longue Marche ne fait pour ainsi dire que commencer...
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