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  • Ker Asia

Manshin - Ten Thousand Spirits


Film / documentaire sud-coréen sorti le 6 mars 2014

Après visionnage et à deux reprises – certains sujets ne se regardent pas comme de simples histoires – ce documentaire fiction interpelle davantage qu'il n'apporte de réponses à nos interrogations. Pour ma part, on peut se poser la question sur l'attachement des Coréens à des pratiques qui ont plus leur place dans quelques endroits reculés du globe que dans une société montrée souvent comme un exemple d'avant-garde de la modernité en Asie sauf qu'elles perdurent et semblent même s'enraciner très profondément dans les mœurs de la population. Autant dire que c'est assez dérangeant de découvrir deux visages de cette Corée dont certains ne jurent - mais ce n'est pas de leur faute - que par quelques clichés véhiculés par les médias au travers des dramas ou une musique sirupeuse et pourtant...

Que dire tout d'abord en ce qui concerne le montage du film quelque peu déroutant s'agissant d'une démarche autobiographique car il faut quand même s'y accrocher pour ne pas perdre le fil de l'histoire qui raconte ni plus ni moins la vie de notre fameuse chamane depuis sa naissance et ce jusqu’à sa reconnaissance officielle par les autorités du pays, sauf que le parti pris de représenter le personnage par des acteurs et par intermittence en combinant donc le jeu d'acteur avec la présence de l’intéressée, a de quoi embrouiller quelque peu l'approche. Mais une fois la démarche comprise, on comprend mieux la nécessité de recourir à ce procédé à défaut d'images d'archives certainement pour évoquer la vie de Kim Keun-Hwa et surtout sa jeunesse particulièrement difficile durant la guerre qui a conduit à la partition du pays jusqu’à nos jours.

Ceci étant, le cœur du sujet est le chamanisme incarné par cette femme ou non car rien n'est plus dérangeant, une fois de plus, que de voir une réalité en désaccord total avec l’idée qu'on peut se faire généralement de la croyance qui plus est dans une société moderne. En la matière, le chamanisme ne s'appuie sur aucun dogme et se dispense même de clergé en plus de s'exprimer librement au travers de personnes qu'il désigne par la manifestation de symptômes.

De là à déduire qu'on n'est pas chamane par vocation après un long chemin de croix est tentant sauf que Jésus est invoqué dans les rituels chamaniques sans parler des "amen" qui achèvent de dérouter définitivement tout amateur d’ésotérisme ou de science occulte, car ne dit-on pas de surcroît qu'il n'y a point de salut hors de l’église ?

La question parmi d'autres, en ce qui me concerne, est la place du christianisme dans le chamanisme à moins que cette croyance populaire ne s'apparente au Caodaïsme au Vietnam par exemple avec Victor Hugo pour personnage tutélaire entre autres…

Honnêtement, j'avoue avoir perdu un peu mon latin en cours de route d'autant que les rituels chamaniques interpellent volontiers l'esprit des défunts mais pas de n'importe qui. Il s'agit de personnages historiques entre autres, voire de généraux ce qui nous renvoie – j’espère ne pas me tromper – à l'histoire du pays pour guérir les maux de notre époque ou attirer les bonnes grâces de ces même esprits pour sortir des moments difficiles de l'existence.

Dire que je ne suis pas un grand amateur de sageuk m'inspire du coup et très sérieusement l'envie de m'y précipiter sans tarder, sait-on jamais… Heureusement que les projets de Nefertari sont à portée de main.

Plus sérieusement, la plus grande question au sortir de ce documentaire est quand même cette part d’irrationalité qui semble marquer les pratiques de la chamane qui tantôt se présente comme une guérisseuse ou une entremetteuse entre le monde réel et celui de l'invisible, sans pour autant recourir à une référence textuelle – aucun texte sacré ni objets symboliques pour la représentation du chamanisme - et par là même, échappe à toute tentative de classification, n’étant pas un personnage religieux ni même un exorciste.

Qu'est-ce donc ? Je vais essayer d'avancer une thèse au risque d'indisposer les tenants des deux bords si je peux me permettre l'expression car on ne peut s'accrocher à des croyances sans qu'il y ait des raisons ou parce que Dieu est déjà sollicité de partout même pour changer les langes d'un bébé à l'autre bout du monde.

Pour ramener les choses à leurs justes proportions et non places y compris le chamanisme, il me semble que certaines sociétés aux fondations agraires très anciennes perpétuent non pas tant une croyance au sens étymologique du terme que la nécessité de rester connecté avec un au-delà et par extension avec des personnes qui ont quitté ce monde pour devenir des esprits voire des fantômes errants.

Le chamane est dans notre situation une sorte de vecteur entre les vivants et les défunts tels des ancêtres anonymes qu'il est toujours bon de ne pas oublier car pense-t-on en Asie généralement, il y a une vie après la mort.

Plus pragmatique que pétris de réelles convictions, il n'est pas rare de voir – Vietnam et Nord de la Chine notamment – des gens se plier à des rituels avec force incantations pour attirer les bonnes grâces des esprits mais pas nécessairement des défunts car l'esprit des éléments existe aussi – la Pachama andine par exemple - pour sortir d'une situation difficile ou préparer un avenir meilleur pour eux-mêmes et leur famille.

Ce réflexe ancestral est entretenu, me semble-t-il, par une structure patriarcale qui prévaut dans la grande majorité des pays d'Asie et ce n'est pas leur modernité apparente ou une vie citadine qui changera grand-chose car les moyens technologiques d'aujourd'hui ne dispensent pas les gens de croire en la nécessité de vivre une vie paisible pour la retrouver ailleurs dans le monde de l'invisible en l’occurrence. Ainsi, beaucoup de choses en découlent dans les comportements et à fortiori dans les actes quotidiens même s'il faut recourir à une chamane dans les moments difficiles ou particuliers de la vie notamment. Ceci est particulièrement vrai en Mandchourie aujourd'hui encore comme en Corée ce qui démontre que la croyance quelle qu'elle soit n'est en aucune façon subordonnée à l’évolution matérielle de la société mais elle occupe bien au contraire une place dans celle-ci et en parallèle avec ce que la science et les connaissances de notre époque essaient de démontrer. En d'autres termes, le chamanisme répond à un réel besoin pour une couche de la population en Corée, dans notre cas, mais pas forcément arriérée tout en étant une expression culturelle vivante au point que les autorités du pays sont obligées de le reconnaître officiellement. Par ailleurs, quel homme politique ne serait pas tenté de consulter un médium s'il ne l'a déjà fait ? Les exemples célèbres ne manquent pas et que penser de la position des astres et de leurs trajectoires qui ne relèvent pas que de la science ?

''Manshin'' est un bien beau documentaire doté d'un puissant contenu pédagogique et notre regard sur la Corée ne saurait s’arrêter qu'à un aspect du pays, certes plaisant, si on veut le connaître avec toutes ses richesses.


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