Paisiblement, l’homme s’est éteint à l’âge de 67 ans non sans avoir poursuivi une carrière de scientifique après la guerre et même donné d’ultimes conférences à San Francisco, sur le résultat de ses recherches, avant de disparaître pour toujours en 1959. Mais dans la mémoire des victimes qui ont survécu à une période qu’on peine encore à imaginer et dans le souvenir même de ceux qui ont osé témoigner, parmi les 2000 membres de son équipe notamment, les activités de l’unité 731 dépassent l’entendement.
En 1989, les ouvriers du chantier de construction du prestigieux quartier d'affaires de Shinjuku à Tokyo reculèrent d'effroi devant leur découverte. Une fosse remplie de restes humains vient d'être mise au jour par leurs excavatrices ce qui a fort embarrassé les autorités japonaises. Celles-ci ont fini par expliquer comment des cobayes humains utilisés par l’unité 731, durant la Seconde guerre mondiale, furent envoyés de Mandchourie à Tokyo pour ‘‘études’’et ensuite dissimulés à la hâte la veille de la reddition japonaise. Récemment, des archéologues chinois ont également découvert des accessoires et des restes d’équipement de laboratoire, en nombre, dans le Sud du Yunnan (Chine).
Ils sont susceptibles d’appartenir à cette formation dont les activités semblent s’étendre bien loin de sa zone d’opération d’alors, c’est à dire en Mandchourie lorsqu’elle a commencé.
Créée en 1925 par mandat impérial, sa mission officielle était de s’occuper de la prévention des épidémies et la purification de l’eau mais c’est bien après la reddition du Japon que le monde apprendra que derrière les activités de l’unité 731 - dirigée à cette époque par le général Shirō Ishii - se cachait en réalité des expériences de toutes sortes pratiquées sur des êtres humains - transformés en cobayes - dans le but de développer des armes bactériologiques pourtant proscrites en 1925 par le protocole de Genève.
C’est le projet ‘‘Maruta’’ * que le Japon compte mener à bien et dans le secret le plus absolu, pour gagner la guerre engagée contre la Chine depuis 1937, suite à l’occupation six ans plus tôt de la Mandchourie. Bien que le nombre de victimes majoritairement civiles et chinoises s’élevait à six millions de morts par la seule présence des troupes japonaises dans cette province, entre 1936 et 1945, il faut donc compter parmi elles plus de 400 000 autres et de différentes nationalités issues indirectement ou directement des activités criminelles de cette unité qui ont commencé en 1938.
Si le tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient (TMIEO) qui s’est tenu en janvier 1946 à Tokyo a bien prononcé des peines à l’encontre des personnes – hommes politiques, hauts responsables, officiers militaires et officiers de grades inférieurs - impliquées dans des crimes contre l’humanité, toutes pour autant n’ont pas fait l’objet de poursuites à commencer par le chef suprême des armées en la personne de l’Empereur Hiro-Hito et à un moindre niveau, Shirō Ishii, ainsi que tous les membres de son unité.
Ont-ils tous donc été graciés ? Les choses ne se sont pas posées en ces termes. Ce qui ressort de tout ce qui a pu être écrit sur cette période, au travers des polémiques que les décisions du TMIEO ont suscité en son temps et même aujourd’hui encore, semble emprunter un chemin qui ne relève pas de la morale mais des intérêts d’État bien compris entre le Japon, certes vaincu, et les États-Unis d’Amérique, dans la perspective de redessiner la carte géopolitique du Pacifique d’après guerre. Sans doute y avait-il des enjeux supra-nationaux pour que tous les criminels n’aient pas été poursuivis.
Quand on songe que les bombardements du Japon avant Hiroshima et Nagasaki ont fait l’objet de soins scrupuleux afin de ne pas atteindre certains symboles du régime impérial, il est aisé d’imaginer les raisons qui ont motivé cette démarche d’autant que l’Amérique devait songer à la reconstruction du pays sans rompre son unité nationale dont Hiro-Hito est le garant. Parmi ces raisons, une autre milite dans le sens d’un compromis voulu par les États-Unis dans leurs attitudes marquées par une certaine ‘‘mansuétude’’ à ne pas vouloir condamner tous les criminels de guerre. Le service de renseignements américain, bien renseigné avant le conflit sur les grands spécialistes japonais en bactériologie, était au courant de leurs avancées dans le domaine des armes interdites et ce faisant, voulait s’approprier leurs connaissances en contre partie d’une immunité accordée d’ailleurs par le général MacArthur à tous les membres de l’unité 731 ainsi que son chef.
De fait, si les raisons d’État prévalent parfois sur le droit à la justice des victimes - ce qui n’est pas une première dans l’histoire des conflits armés - pour autant, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le sens de l’Histoire écrite pour les générations futures quand d’emblée, elle semble entachée par une sorte de compromis entre les protagonistes qu’aucune morale ne peut cautionner alors qu’il s’agit d’inscrire dans la mémoire collective, un tragique passé pour ne plus avoir à le revivre précisément. A ce jour, l’unité 731 n’a laissé aucune archive et tout a disparu – sur ordre direct de Hiro-Hito - pour ainsi dire hormis quelques témoignages oraux qui ont pu être recueillis auprès des survivants – victimes et tortionnaires - de cette époque et un journal personnel d’un militaire de cette unité qui relate de façon détaillée les recherches mises en œuvre par celle-ci.
Malgré le manque de preuves écrites mais sous bien des aspects, cette page de l’Histoire ressemble étrangement à une autre écrite par un certain docteur Mengele, durant ses activités au cours de la Seconde guerre mondiale, quand le IIIe Reich a commencé à mettre en œuvre la Solution finale qui aboutira à l’Holocauste. En écho à cette tragédie, l’unité 731 y a participé en quelque sorte mais en Asie dans un contexte idéologique à dominante raciale, guère éloignée de l’Allemagne nazie dans ses pratiques en Europe. C’est ce que les historiens qualifieront plus tard de Shoah asiatique s’agissant de la guerre d’Extrême-Orient qui entraînera une partie de l’Occident dans la guerre dite du Pacifique de décembre 1941 jusqu’à septembre 1945.
Celle-ci ne s’achèvera que par la destruction atomique de Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945 en ouvrant, contre toute attente, une ère de terreur à l’échelle planétaire alors que les nations victorieuses appellent de leurs vœux, la création d’une Organisation des Nations Unies pour défendre la paix.
* Maruta signifie bûche en japonais car les victimes n’étaient pas considérées comme des êtres humains. Elle étaient traitées comme une marchandise sur laquelle les scientifiques pouvaient tout se permettre sans la moindre précaution.
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