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Ker Asia

Séoul 1945


Drama sud-coréen de 71 épisodes diffusé en 2006

Les chiffres peuvent devenir abstraits, au bout d’un moment, et même certaines dates semblent nous ramener à une époque bien, pour ne pas dire trop lointaine pour qu’on y trouve encore une signification. Pourtant, ce qui s’est passé sous ces latitudes, n’est d’une certaine manière, que le prolongement d’une grande tragédie qui s’est abattue sur l’Europe.


Il s’agit de la Seconde guerre mondiale qui a déchiré le vieux continent et brisé bien des vies, sans parler des conséquences durables qui ont affecté les nations sorties meurtries de la guerre. Parmi elles, il y a des vaincues et des vainqueurs à l’image de ce que nous sommes parfois dans la vie. Ainsi, pour la mémoire, pour ne plus avoir à en revivre et pour en tirer des leçons finalement, nombre d’études ont été menées ainsi que des recherches, souvent accompagnées de témoignages, sur cette période sombre de l’humanité, sans oublier les lieux de mémoire entretenus voire sanctuarisés dans la pierre pour l’éternité peut-être ?


Ce que l’on sait des conflits passés est donc écrit au travers des livres d’histoire avant tout, enseigné dans les écoles et porté à l’écran parfois - pour en donner une illustration qui se veut fidèle, dans les grandes lignes tout du moins, quand il ne s’agit pas de valoriser un aspect particulier pour évoquer certains comportements héroïques ou faits d’armes par exemple – parce que le 7e Art est universel par nature, et qu’il ne s’est jamais interdit d’aborder un genre même douloureux qu’est la guerre, sans toutefois prétendre à la vérité absolue et que l’on ne peut confondre avec la propagande qui n’est rien d’autre que de la communication.


C’est pourquoi, cette production sud-coréenne a toute sa place parmi les films qu’on pourrait qualifier d’utiles, quelque part, s’agissant de la guerre de Corée car certains aspects du conflit ne sont pas sans rappeler une Allemagne, coupée en deux au sortir de la guerre et sur fond d’opposition idéologique des états européens - libérés ou alliés du nazisme pour certains notamment - que la péninsule va connaître à son tour, mais pour des raisons différentes même si elle incarne bien malgré elle, deux visions antagonistes du monde. L’une est fondée sur une idée de la liberté qu’il faut préserver à tout prix et l’autre, sur l’égalité pour tous, qu’il faut rétablir quitte à passer par les armes…


Ce qui ne tardera pas à faire de la péninsule coréenne, l’expression sanglante d’une guerre froide à son point culminant et le théâtre d’enjeux idéologiques dont les conséquences se feront sentir jusqu’à aujourd’hui chaque fois qu’il s’agit de questions géopolitiques avec tout ce que cela sous-tend de conflits armés possibles. C’est dire que tout cela s’est passé il y a bien longtemps et qu’il faut remonter jusqu’à la fin de la domination japonaise dans cette partie de l’Asie, en 1945, pour en connaître la genèse et dans un pays qui a perdu, entre temps, son intégrité territoriale et peut-être même, une partie de son identité.


Avec 71 épisodes, ‘’Séoul 1945’’ se propose donc d’apporter sa contribution à l’histoire de la Corée et dans un format assez conséquent mais guère plus qu’une réalisation historique consacrée souvent à un règne et dont le public sud-coréen est demandeur d’ailleurs sauf que parler d’une guerre qui a fait du pays ce qu’il est aujourd’hui, peut être un sujet à haut risque d’autant que le drama a suscité quelques polémiques sur la posture prêtée à certains personnages à l’instar de Syngman Rhee par exemple. Mais il s’agit d’une démarche cinématographique avant tout et elle ne vise qu’à illustrer une période, certes peu glorieuse pour les Coréens, mais néanmoins utile pour qui se penche un tant soit peu sur le pourquoi des deux Corée. Et rien que pour cela, le drama – s’il n’est pas le premier – mérite le détour quitte à prendre les choses pour ce qu’elles sont. C’est une œuvre de vulgarisation mais encore faut-il commencer par quelque chose et surtout pas les hommes et les femmes de cette histoire sans lesquels il n’y aurait tout simplement pas d’histoire.


Aussi, que peut-on dire au terme de plusieurs heures de visionnage ?

La première impression qui se dégage de ‘‘Séoul 1945’’ depuis le premier épisode jusqu’à la dernière séquence, est la même. C’est à dire intense et sur un ton passionnel à l’égard du pays – que tous et toutes aiment pour mille raisons – ou entre les protagonistes, pour ce qui est des dialogues et même des actes, qu’il s’agisse d’amour ou de haine sans oublier les liens d’amitiés indéfectibles au-delà des classes sociales et indépendamment des vicissitudes de la vie. Déjà, elles n’épargnaient personne dans un quotidien sous domination japonaise et encore moins quand vient l’heure des affrontements idéologiques qui ébranlent les convictions jusqu’à mettre en péril des relations et même des vies. Tous les personnages de l’histoire se connaissent depuis l’enfance pourtant et parfois intimement pour avoir partagé les mêmes infortunes, les mêmes joies ou pour le même amour du pays. Mais, il faut croire que le destin de chacun est déjà écrit quelque part. Est-ce dans le moule d’une classe sociale que certains rejettent de toutes leurs forces quand d’autres font également tout leur possible pour la préserver ? Quitte à collaborer avec l’ennemi ? Est-ce que ce pays est condamné à rester figé et interdit à certains quand il s’agit de trouver sa place si elle n’est pas méritée ? L’universalité de certaines questions est au cœur de la vie depuis que nous voulons lui donner un sens et ce sens s’est posé cruellement pour les Coréens dans ce drama.


Qu’est-ce que la Corée, que chacun porte en lui, quand sa vie a déjà été foulée au pied par des compatriotes et pire encore par l’étranger ? Ce drama déborde de questionnements et au travers de chacun des personnages, on peut lire une histoire qui n’est pas que personnelle. Elle est intimement liée au sort du pays parce que chacun, chacune tentent avec la force du désespoir parfois, de l’imaginer autrement et d’imaginer son avenir même si tout semble se dérober. La domination japonaise n’ a pas été qu’humiliante, elle a agrandi le fossé social qui existait déjà dans l’ancienne société de Joseon pour prendre désormais le visage hideux qu’une guerre fratricide au nom d’un lendemain plus juste. Est-ce donc inéluctable ?

En considérant tous les thèmes abordés dans ce drama et toutes les questions qu’il pose, ‘‘Séoul 1945’’ ne peut être écrit que sur un ton passionnel parce qu’il ne peut en être autrement. Il traite de tragédies humaines avant tout, indépendamment de la guerre qui en découle et si les sentiments, qui animent les protagonistes, semblent quelque peu exacerbés par moment, c’est parce qu’ils sont l’expression de la vie même surtout au seuil du trépas qui s’ensuit parfois. On les retrouve d’ailleurs dans des dialogues magnifiques de justesse et souvent dérangeants aussi.


A l’heure ou nombre de films coréens abondent sur la guerre de Corée, il est parfois bon de regarder plus en amont pour comprendre le présent de ce pays même sous l’angle de la fiction, fut elle teintée de romance dans notre cas, parce que ‘‘Séoul 1945’’ a les qualités cinématographiques d’une réalisation vivante et pédagogique. Si d’aventure, on peut lui trouver quelques longueurs – à force de démonstrations sans doute – cela n’entame en rien le souffle épique qui l’anime et sans que le propos ne perde de sa lisibilité. Il s’agit bien d’une guerre inéluctable et comme dans toutes les guerres, il ne reste plus souvent que chagrin et agonie, pour les survivants, avant que la vie ne reprenne son cours.


Pour conclure, ‘‘Séoul 1945’’ est une œuvre inspirée, dense et puissante comme portée par une tempête orageuse avant que tout ne soit balayé. Il n’est donc pas étonnant qu’elle figure, en Corée, parmi les réalisations incontournables consacrées à cette période. La genèse de la partition de la péninsule y est abordée, le conflit qui en résulte avec toutes ses conséquences aussi mais toujours ramenées à l’échelle de l’individu qui est pour ainsi dire, le cœur du drama. Comme on peut l’imaginer, la séquence finale est forcément sans surprise et tout simplement déchirante, à l’image d’un pays fracassé en ces derniers jours de juillet 1953.


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