top of page
  • Ker Asia

Take Point


‘‘Take Point’’ se traduit, en terme militaire, par homme de main et le titre donne d’emblée le ton à ce film d’action qui ne se résume pas qu’à des affrontements puisqu’il comporte, en filigrane, une réflexion critique sur le poids des États-Unis dans ses relations avec ses partenaires dont la Corée du Sud qui est, de fait, son obligée depuis plus de 60 ans. Critique d’autant plus acerbe – venant surtout des médias coréens - envers la Maison Blanche depuis qu’elle est influencée par les prises de position de Pyongyang et ce, jusque dans la conduite de sa politique intérieure et à fortiori dans la péninsule au risque de transformer les Sud-Coréens en otages d’un redoutable conflit dont ils se passeraient bien.


Les inquiétudes des Coréens sont d’autant plus justifiées qu’elles sont nourries par de réelles tensions militaires entre les deux puissances nucléaires ces dernières années, au point de retenir l’attention permanente d’une administration américaine aussi impulsive que peu fiable. De cette réalité à la fiction, il n’y a donc qu’un pas que le cinéma ne peut ignorer et que ‘‘Take Point’’ compte illustrer sur grand écran. Ainsi et comme dans tout conflit ou situation difficile, il faut des hommes pour le régler et peu importe comment on les appelle finalement car il s’agit de contenir une menace sans donner l’impression d’être belliqueux surtout quand il s’agit pour un président américain – McGregor dans le film – d’obtenir une réélection. Elle est loin d’être acquise, car mise à mal par de mauvais résultats économiques consécutifs à une saturation du marché international causée par des produits nord-coréens et que soutient la Chine pour contrer les sanctions prononcées par ce dernier contre Pyongang.


Aussi, ne reste-il plus qu’à provoquer un changement de régime au Nord de la péninsule pour sortir de la crise et sans se salir les mains puisque l’Amérique est une belle et grande démocratie qui ne saurait s’abaisser à des pratiques que le droit international condamnerait à coup sûr. Fort heureusement, elle dispose de certains moyens que la CIA va se charger de mettre en œuvre. Il s’agit de recourir à des hommes de main, comme on peut s’en douter, ou plutôt à des mercenaires dans ‘‘Take Point’’. Il faut dire qu’ils n’ont que faire de la politique du moment que l’argent est à la hauteur de leurs basses besognes même si la séquence finale du film vient bousculer une lecture des évènements écrite jusqu’à présent qu’au travers de la violence et dans un total cynisme. Dans le fracas des armes, ‘‘Take Point’’ laisse entrouvrir une porte inattendue et dérangeante sur la question de la vie et la mort quand soudainement, leur chef - le capitaine Achab - se retrouve dans une situation particulièrement dramatique et contre toute attente, du côté d’un camp aussi étranger à lui que les valeurs matérielles qu'il est supposé défendre en tant que mercenaire précisément.


Brutal donc pour les actes puisque le film nous plonge d’emblée au cœur d’une mission secrète (voulue tout du moins) mais néanmoins pertinent pour la démarche, ‘‘Take Point’’ ménage, de fait, une marge inédite sur la question de la condition humaine. Elle est subtile mais pourtant perceptible dès le début du film, quand dans leurs échanges, on voit des hommes parler de ‘‘sales boulots’’ parce qu’il n’y a qu’eux pour le faire en plus d’être les plus compétents et qu’ils n’auront jamais la nationalité américaine en retour. Ils font partie de la cohorte d’immigrés sans papiers que l’Amérique est obligé d’embaucher avant de les jeter comme de vulgaires consommables – et montré d’ailleurs avec toute la violence d’un système méprisant envers les étrangers quand ils ne sont plus utiles - et à qui on n'accordera jamais une confiance totale. Comme beaucoup et surtout les clandestins, ils n’ont pas d’assurance maladie mais la promesse d’être bien payés leur permettra de s’occuper de leur famille, ce qui finira par convaincre l’un d’eux, avant de mourir sous le feu d’un ennemi qui n’est pas le sien. L’autre visage du film et qui n’est pas forcément visible, au premier abord, est dans le personnage du capitaine Achab. Entre sa mission et la vie de ses hommes, il ne manque jamais de les traiter comme des êtres humains avant tout et nombre de ces mercenaires lui sont fidèles, pour cette raison. Tous savent qu’ils ne sont pas jetables comme on le ferait d’un outil devenu obsolète après usage....


C’est en quelque sorte le sens profond du film, formulé comme un postulat, et qui trouvera dans la dernière séquence, une illustration certes dramatique mais non dénuée d’espoir. Au-delà de la violence qui est un aspect des rapports humains et traitée ici au 1er degré, ‘‘Take Point’’ pose au travers d’un affrontement imaginaire mais nourri cependant par une actualité, des questions aussi intéressantes que les enjeux de société et de pouvoir avec tout ce qui peut en découler. Le profit à court terme dans un monde toujours plus crispé, la marchandisation grandissante des personnes, l’intolérance, l’exploitation et le mépris de l’autre, les limites d’un ordre qui se veut respectable, le cynisme de la politique, la violence et le crime pour justification…


On peut encore en dire beaucoup sur ce film mais il faut d’abord le regarder. Contrairement à la présentation que la presse en fait, tout n’est pas dans les actes mais dans ce qu’ils révèlent. C’est très subtile, c’est remarquable et on en attendait pas moins de Kim Byung-woo.



bottom of page