Captivant ou déroutant, tout dépend de l'idée que l'on se fait d'un film de guerre. Captivant car ''Under the flag of the Rising Sun'' dépasse de très loin les canons du genre et déroutant aussi pour les même raisons paradoxalement. C'est dire que cette réalisation de Kinji Fukusaku est tout simplement inclassable tant l'auteur surprend par l'écriture scénaristique et de ce fait, il ne peut s'adresser à tous les publics si tant est que montrer des corps déchiquetés ou des explosions a quelque chose de séduisant ou d'attractif et pourtant c'est ce que le cinéma actuel et dit ''grand public'' a l'habitude de servir à grand renfort de moyens et d'artifices. Dans notre cas, la plastique – toutes proportions gardées – n'est pas l'argument principal du film ni même la part de sentiment que d'aucuns trouveraient sans doute normal s'agissant de tragédies humaines mais c'est cela le grand mérite de Kinji Fukusaku bien que partant d'une histoire somme toute classique et tirée du roman de Yuki Shojio. Comme dans toutes les guerres et surtout après, il faut penser à la reconstruction du pays et pour le Japon vaincu, honorer les héros qui se sont sacrifié pour l'Empire, ce qui n'est hélas pas le cas de tous les soldats tombés au cours de la Seconde guerre mondiale, dans ce film, puisque toutes les veuves ne pourront pas participer aux commémorations officielles et encore moins prétendre à une quelconque reconnaissance ou pension du gouvernement. C'est pourtant ce que revendique l'une d'elle non pas tant pour le pécule - certes utile pour subvenir à ses besoins - que pour une question d'honneur alors que d'autres veuves n'en savent guère davantage sur la disparition de leur époux et se trouvent, pour ainsi dire, dans l'impossibilité de faire leur devoir de deuil outre de se heurter à une administration pas toujours encline à les aider d'autant que les archives ne disent pas forcément tout. Pour beaucoup, c'est une quête sans espoir qui commence bien souvent et pour notre héroïne – en la personne de Sakie dans le film – des questionnements qui vont la conduire de ville en ville pour tenter de recueillir les témoignages d'anciens militaires ayant servi dans la même unité que le mari disparu. Dans ce long cheminement, la vérité sera peut-être au bout du chemin mais enfouie sous des récits contradictoires aussi et combien terrifiants sur les conditions des soldats abandonnés à leur sort alors que le commandement militaire refuse obstinément de reconnaître la défaite. Terrifiants, car on touche dans cette histoire, non seulement au tréfonds de la détresse humaine dans un contexte particulier certes – la fin de l'occupation japonaise en Papouasie-Nouvelle-Guinée qui se soldera par la défaite de la 18e armée japonaise et la perte de plus de 135 000 hommes - mais à l'absurdité des comportements de certains officiers aussi, enfermés dans leur folie, jusqu'à sacrifier aveuglément leurs hommes et eux-mêmes pour une bataille perdue d'avance. Construit autour de Sakie, le film fait ainsi croiser le point de vue de différents protagonistes qu'elle rencontrera en chemin et d'une certaine manière, leurs témoignages ne pourront que plonger le spectateur dans le calvaire que les soldats ont dû vivre et dans une sorte de déchéance qui réduit tout être humain en animal bien obligé d'être aux ordres pour une victoire que chacun sait illusoire désormais. Mais dans ce désastre, certains tenteront désespérément de s'y soustraire et c'est cette part d'ombre de la guerre qui sera progressivement dévoilée, dans ce film, et dans l'horreur la plus totale. Sur le mode narratif, les séquences qui viennent illustrer le propos d'anciens soldats et d'officiers comportent ainsi des scènes jouées certes mais en noir et blanc pour se fondre dans des images d'archives et dans une sorte de va-et-vient et même d'arrêts sur image pour atteindre des sommets d'intensité dramatique à la limite de l'insoutenable ou plonger le spectateur dans la plus profonde noirceur du comportement humain. Cependant, cette maîtrise technique de l'écriture cinématographique ne vise pas tant à flatter le regard du spectateur qu'à le faire toucher du doigt, toute la monstruosité de la guerre qu'aucun qualificatif ne saurait définir. Dans ce film, on est plongé avec la plus grande brutalité dans un état de folie collective et s'il faut prendre le film pour ce qu'il est, la démarche de Kinji Fukusaku est tout simplement remarquable pour la pédagogie qui s'en dégage sans être antimilitariste pour autant. Rappelons enfin que ''Under the flag of the Rising Sun'' est sorti en 1972 au Japon à une époque où bien peu de films ont osé aborder cette page douloureuse de l'Histoire du pays et si certaines valeurs morales font toujours partie de la société, beaucoup ont été foulées aux pieds il n'y a pas si longtemps pour des rêves de grandeur mais pas celui de l'homme souvent à l'origine du meilleur comme du pire quand il n'est pas son propre ennemi. Sous le drapeau du Soleil Levant, il y a une réalité qui s'appelle l'Enfer.
Ker Asia
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